CLAUDE ROY
L'Absent.
La dédicace de fin de mon album s'adressant à un disparu, le premier vers de
ce magnifique poème était tout désigné.
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L'absent |
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La
Nuit Elle est venue la nuit de plus loin que la nuit à pas de vent de loup de fougère et de menthe voleuse de parfum impure fausse nuit fille aux cheveux d'écume issue de l'eau dormante Après l'aube la nuit tisseuse de chansons s'endort d'un sommeil lourd d'astres et de méduses et les jambes mêlées aux fuseaux des saisons veille sur le repos des étoiles confuses Sa main laisse glisser les constellations le sable fabuleux des mondes solitaires la poussière de Dieu et de sa création la semence de feu qui féconde les terres Mais elle vient la nuit de plus loin que la nuit à pas de vent de mer de feu de loup de piège bergère sans troupeaux glaneuse sans épis aveugle aux lèvres d'or qui marche sur la neige. |
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Le
chiffre de la nuit Très près, très loin, plus embrouillée de noir et de méprise que de sable et de temps les princes de basalte endormis au plus profond du sable, en Asie grise, une étoile obstinée nous contraint à la halte. Au creux de son armure un chevalier très mort, et depuis très longtemps devenu herbe et chaux se souvient de nous deux et d'avoir eu nos corps et de notre sommeil se fait un peu de chaud. Le chiffre que le songe organise en nous liant, tressant et détressant nos jambes et nos bras, la nuit l'a déjà lu sur son parcours patient: il s'écrivait déjà quand nous n'étions pas là. Nous émergeons toujours à l'instant du sourire qui nous rend l'un à l'autre et le jour à ta joue de cette fausse mort de fable et de délire pour retrouver la vraie, qui sait nous mettre en joue. |